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LE CERCLE HIPPIQUE DE MÉZIÈRES-EN-BRENNE.

CONCOURS DE MÉZIÈRES.

Cette année, le concours des poulains et des juments de la Brenne a été des plus remarquables. Dans un vaste cirque de verdure, ombragé de beaux arbres, et borné par les sinuosités de la Claise, cette foule de jeunes quadrupèdes, hennissant et bondissant autour de leurs mères, offrait un spectacle aussi gracieux pour le peintre qu’intéressant pour l’agriculteur. On pouvait voir là le progrès rapide dans l’élégance des formes du poulain, et constater la bonté de la souche dans le flanc solide, la jambe sèche, et le large poitrail de la haquenée sa nourrice. Le caractère intelligent et doux de cette race, qui vit avec l’homme des champs comme le coursier d’Arabie avec son maître, pouvait aussi être constaté sur place. Le vaste et fier troupeau, agité par l’aspect de la foule, étonné de se voir retenu par des liens dont il ignorait encore l’usage, se livrait à un grand mouvement et à un grand bruit, mais sans colère et sans perfidie. Un enfant suffisait pour contenir les plus mutins, et l’on pouvait circuler, dans ce troupeau sauvage, sans craindre ni ruades ni morsures.

Les jeunes dompteurs indigènes, déjà mieux vêtus, mieux nourris, et mieux portants que par le passé, produisaient avec un naïf orgueil ce brillant résultat de leurs soins.

LES COURSES.

Après le concours et les primes accordées aux juments et à leur suite, les jeunes chevaux du pays ont lutté d’haleine et de rapidité sur l’hippodrome de Mézières, aujourd’hui le plus beau et le meilleur de France pour la course. L’émotion passionnée avec laquelle le public indigène, composé en grande partie de paysans à la physionomie caractérisée, assiste à ce spectacle, le rend plus animé et plus pittoresque qu’aucune course que j’aie vue. Une grande file de voitures offre aussi la variété la plus piquante, depuis le riche équipage traîné par de grands chevaux anglais jusqu’à la charrette du paysan tirée par sa paisible mais vigoureuse poulinière. Au centre de la Brenne, dans ce pays naguère si misérable, inondé la moitié de l’année, à peine habité, et nullement fréquenté, on est fort surpris de se trouver sur une belle route encombrée d’équipages fringants, d’omnibus, de diligences, de pataches, de curieux, et de véhicules de toute espèce. C’est Longchamps transporté au milieu du désert, plus la population rustique, qui donne la vraie vie au tableau, et qui s’amuse pour tout de bon, vu que ceci l’intéresse un peu plus que les splendeurs du luxe n’intéressent le pauvre peuple de Paris ou de Versailles.

À peine les courses ont-elles commencé, que l’arène est envahie par des flots de peuple, qui s’élance sous les pieds des chevaux pour encourager les concurrents ou féliciter les vainqueurs. C’est à grand’ peine que les commissaires, le curé, les gendarmes et le garde champêtre, tous gens paternels dans notre bon pays, peuvent contenir cette agitation et prévenir les accidents. La course des cavarniers est la plus intéressante pour le compatriote, la plus originale pour l’artiste. Le cavarnier est le gamin de la Brenne. C’est le jeune garçon ou l’enfant qui élève, soigne et dompte le cheval sauvage. Pieds nus, tête nue, sans veste, le cavarnier galope sur le cheval nu. C’est tout au plus s’il admet le bridon, habitué qu’il est à diriger sa monture avec une corde qu’il lui passe dans la bouche. Celui qui a gagné le prix, cette année, avait, je crois, neuf ou dix ans. En arrivant au but, il a glissé en riant sous le ventre de son cheval baigné de sueur, luisant et poli comme un glaçon, mais non pas aussi froid ; car il faisait, ce jour-là, 32 degrés de chaleur à l’ombre, et l’ombre est un mythe sur les plateaux de la Brenne. Un brave paysan ramassa l’enfant et l’éleva dans ses bras pour l’embrasser. Il riait et pleurait en même temps, car il savait le danger qu’avait bravé son fils, et les quelques minutes d’une course si rapide sous les yeux du public sont bien longues pour un père.

Mais ce danger est une bonne nourriture pour l’homme, et j’aime que le paysan soit cavalier de naissance. Il semble que cela le rende déjà libre et le grandisse de toute l’énergie, de toute la fierté que l’air des champs devrait souffler partout sur l’enfant de la nature.

Après les courses rustiques, et les courses de char, qu’il faudrait encourager partout, nous avons vu des courses fashionables. Elles ont été superbes, pleines de luxe, d’émotion, de courage et d’habileté. Mais il n’est pas de notre ressort de parler bien savamment de ces joutes élégantes. Les cavaliers applaudis de tout cœur et les victorieux intrépides n’ont pas besoin d’encouragements. Ils apportent à Mézières la gloire de leurs prouesses, et nous ne saurions rien y ajouter qui ne fût un hommage superflu.

Quant à nous, paisibles cavaliers et raisonnables voyageurs de la Vallée-Noire, nous devons prendre l’engagement, sinon de nous défaire de nos vieux chevaux, qui sont parfois de fidèles amis, ce qui serait par trop romain, du moins, aussitôt que nous aurons à les renouveler, d’aller en Brenne, afin d’encourager nos frères les cultivateurs de la plaine, et de pouvoir dire avec fierté : « Berrichon je suis, et mon cheval aussi. L’un portant l’autre, nous irons vite et loin. »

GEORGE SAND.