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PROCOPE LE GRAND.

sacrements ? Ne recevons-nous pas la même Écriture sainte ? Qu’est-ce donc qui vous éloigne de nous ?… Nous vous le protestons la larme à l’œil, ce n’est qu’à notre grand regret et par la cruelle nécessité que nous nous armons contre vous. Nous y sommes portés par l’amour de nos prochains, persécutés, dépouillés, massacrés inhumainement par les Bohémiens. » C’est à eux qu’il écrit ainsi à la seconde et à la troisième personne en même temps. Massacrés par vous eût été trop impoli, apparemment… « Si vous rejetez nos offres et nos invitations, ne nous imputez pas les malheurs de la guerre, et ne vous en prenez qu’au refus des gens qui veulent être plus sages qu’il ne faut. Croyez-vous que ces gens-là en sachent plus que l’ancienne Église et celle d’aujourd’hui ? Qu’est-ce que peuvent vous apprendre des gens de guerre, des paysans, des bourgeois grossiers ? Des gens sans lettres sont-ils plus habiles que tant de docteurs, que tant d’académies où avaient fleuri les saintes lettres ? Écoutez saint Augustin qui vous dit qu’il n’aurait pas cru à l’Évangile sans le témoignage de l’Église, etc., etc. »

Autant la lettre du cardinal, dit Jacques Lenfant, est pathétique, insinuante et artificieuse (il aurait pu ajouter aristocratique), autant la réponse des Bohémiens est libre, ferme et assez dure, mais nette et précise. La voici :

« Il est impossible, révérend père en Christ (c’est le titre qu’on donnait à un simple prêtre), qu’une personne d’un aussi grand esprit et d’une aussi grande autorité ignore que le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ, pendant sa vie sur la terre, non seulement a donné aux hommes divers préceptes très-salutaires, mais qu’il les a pratiqués lui-même ; entre lesquels ces quatre sont les principaux : 1o  que le vénérable sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ doit être administré sous les deux espèces ; 2o  que la parole de Dieu doit se prêcher librement et selon la vérité ; 3o  qu’il faut punir les péchés publics, commis sous prétexte de religion ; 4o  qu’il faut ôter l’administration de la république aux ecclésiastiques. Ces quatre articles se prouvent clairement par les Évangiles, par les Apôtres, et par tous les saints Pères… Ils ont été reçus dans l’Église chrétienne, et gardés fidèlement pendant quelques siècles, comme cela paraît par les commentateurs et docteurs vraiment catholiques. Mais ils ont été violés et supprimés par nous ne savons quels petits prêtres, qui, dégénérant de la piété de leurs prédécesseurs, se sont éloignés de la règle ancienne de l’Église, s’ingérant dans les affaires du siècle, engagés dans les embarras et les épines des richesses mondaines, et, ce qui est plus déplorable et plus cuisant encore, croupissant dans la mollesse et dans l’oisiveté, au grand et irréparable dommage des âmes fidèles.

« C’est pour cela que, tout indignes que nous sommes, mais appuyés des secours de Dieu, nous avons toujours travaillé, depuis plusieurs années, à les remettre sur pied, à les rétablir, à les éclaircir et à les faire observer et respecter, selon leur poids et leur mérite. Combien n’avons-nous point souffert d’inimitiés, d’injures, fait de dépenses, enduré de fatigues, encouru de périls pour les soutenir, sans même épargner nos vies ? Nous avons même demandé plusieurs fois avec instance d’être admis et écoutés publiquement, dans un concile libre, paisible et sûr ; mais tout cela inutilement jusqu’ici. Qui peut s’empêcher d’admirer la diligence et l’exactitude de vos pères, tant vantés, de vos prélats, et de l’Église romaine, à remédier aux maux de la chrétienté ? Au lieu d’empêcher que les vérités salutaires, annoncées et reçues avec tant d’éclat dans le monde, ne fussent ensevelies dans l’oubli, vous avez été les premiers à les négliger, surtout l’article de l’Eucharistie, où, depuis tant d’années, par le plus grand des sacriléges, vous avez retranché le calice au peuple, à qui Jésus-Christ l’a donné. Comment avez-vous souffert cet abus ? comment ne l’avez-vous pas vengé, pendant que vous étiez si soigneux de recevoir vos dîmes et vos impôts ? Mais, sans parler ici de l’intérêt qu’a toute l’Église à ce rétablissement, pourquoi nous l’avez-vous refusé si opiniâtrement, à nous qui l’avons demandé avec tant d’instance, et à qui même vous l’auriez dû accorder, quand nous ne l’aurions pas demandé, pour prévenir tant d’effusion de sang ? Nous ne saurions nous empêcher de croire qu’il y a là-dessous quelque dessein caché.

« Considérez la chose de près. Ne valait-il pas mieux rétablir une institution si utile, si nécessaire à l’Église, que d’assembler, au péril de leurs vies, de leurs États et de leurs âmes, et avec des frais immenses, tant de rois, de princes et de peuples de diverses nations et de diverses langues ? Et pourquoi ? Pour amener le royaume de Bohême à la religion romaine et à ses usages, rites et constitutions ecclésiastiques. Mais vous avez beau faire, ce royaume persistera dans la foi, et se reposera, comme il fait, dans le sein de la Sainte Mère Église orthodoxe, dont Jésus-Christ est le chef. Mais vous-mêmes, tous tant que vous êtes, vous rendriez un grand service à l’Église catholique, si vous vouliez embrasser ces vérités salutaires. Car, ni vous, mon très-cher père, ni vos adjudants, ne pourrez selon le droit et la raison, être juges de cette cause. Cette sainte et éternelle loi dont Dieu lui-même est l’auteur, et que Notre-Seigneur Jésus-Christ a confirmé par sa vie et par sa mort, est très-juste par elle-même ; et il n’y a rien de plus indigne que de prétendre l’assujettir au jugement arbitraire des hommes, sujets à la mort et au péché, puisque saint Paul a dit : Anathème même à un ange du ciel qui annoncerait un autre Évangile que celui que Jésus-Christ a enseigné. Le cœur de l’homme abandonne souvent la vérité immuable pour suivre la direction d’une raison qui peut s’égarer, et qui s’égare en effet souvent. Nous n’avons donc pas garde de commettre le jugement de notre cause à des gens qui, ayant renoncé à la piété, regardent cette vérité comme une erreur manifeste, en traitant d’hérétiques damnables ceux qui s’y attachent, et qui, outre cela, sont nos ennemis déclarés. Pour nous, nous sommes dans ce sentiment, que, dans un concile, il ne doit y avoir d’autre autorité que celle de l’Écriture sainte, qui est une règle très-certaine et le juge équitable que Dieu a laissé au monde, qui n’est point trompé et ne trompe point ; y joignant le témoignage des saints docteurs, quand ils sont conformes à cette règle divine ; et quand l’Église l’aura reçue sur ce pied-là, nous serons tous réunis ensemble. Alors, toute l’Église militante, purgée de son mauvais levain, reprendra sa première splendeur ; la foi germera, la paix fleurira, l’amour et la concorde régneront.

« Mais c’est ce qui n’arrivera pas par votre nouvelle méthode, inconnue comme nous croyons aux Apôtres, de venir contre nous avec tant de milliers de soldats à qui les épées, les flèches et toutes sortes d’instruments de guerre tiennent lieu de l’Écriture et du raisonnement. Sont-ce là des armes dont un père se sert pour gagner ses enfants, comme vous nous appelez ? Mais puisque vous avez choisi ces armes, nous en avons aussi de même trempe, et nous sommes prêts à en venir à un combat décisif. Si vous étiez entrés chez nous comme saint Pierre entra chez Corneille, vous y auriez sans doute fait de grands fruits, et vous auriez réjoui les Pères de l’Église chrétienne ; et au lieu d’un veau ils auraient tué un bœuf gras, et invité leurs voisins à se réjouir avec eux. Toutes ces choses bien pesées, on voit assez ce qui nous sépare les uns des autres, quoique nous ayons le même baptême. C’est que nous autres non-seulement nous professons de bouche la religion, mais nous la pratiquons et l’exerçons en effet. Ainsi, nous vous prions de nous écouter fraternellement, parce que la fin du monde approche, de vous joindre avec nous et de marcher avec ardeur sur les traces de Jésus-Christ et de ses disciples. C’est par ce moyen que le peuple de