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CONSUELO.

bruit et de ces applaudissements. La Corilla lui avait paru manquer d’un talent solide, d’une passion noble, d’une puissance de bon aloi. Elle se sentit compétente pour juger ce talent factice, forcé, et déjà ruiné dans sa source par une vie de désordre et d’égoïsme. Elle battit des mains d’un air impassible, prononça des paroles d’approbation mesurée, et dédaigna de jouer cette vaine comédie d’un généreux enthousiasme pour une rivale qu’elle ne pouvait ni craindre ni admirer. Un instant, le comte la crut tourmentée d’une secrète jalousie, sinon pour le talent, du moins pour le succès de la prima-donna.



Tu m’as plu tout un soir… (Page 35.)

« Ce succès n’est rien auprès de celui que vous remporterez, lui dit-il ; qu’il vous serve seulement à pressentir les triomphes qui vous attendent, si vous êtes devant le public ce que vous avez été devant nous. J’espère que vous n’êtes pas effrayée de ce que vous voyez ?

— Non, seigneur comte, répondit Consuelo en souriant. Ce public ne m’effraie pas, car je ne pense pas à lui ; je pense au parti qu’on peut tirer de ce rôle que la Corilla remplit d’une manière brillante, mais où il reste à trouver d’autres effets qu’elle n’aperçoit point.

— Quoi ! vous ne pensez pas au public ?

— Non : je pense à la partition, aux intentions du compositeur, à l’esprit du rôle, à l’orchestre qui a ses qualités et ses défauts, les uns dont il faut tirer parti, les autres qu’il faut couvrir en se surpassant à de certains endroits. J’écoute les chœurs, qui ne sont pas toujours satisfaisants, et qui ont besoin d’une direction plus sévère ; j’examine les passages où il faut donner tous ses moyens, par conséquent ceux auxquels il faudrait se ménager. Vous voyez, monsieur le comte, que j’ai à penser à beaucoup de choses avant de penser au public, qui ne sait rien de tout cela, et qui ne peut rien m’en apprendre. »

Cette sécurité de jugement et cette gravité d’examen surprirent tellement Zustiniani, qu’il n’osa plus lui adresser une seule question, et qu’il se demanda avec effroi quelle prise un galant comme lui pouvait avoir sur un esprit de cette trempe.

L’apparition des deux débutants fut préparée avec toutes les rubriques usitées en pareille occasion. Ce fut une source de différends et de discussions continuelles entre le comte et Porpora, entre Consuelo et son amant. Le vieux maître et sa forte élève blâmaient le charlatanisme des pompeuses annonces et de ces mille vilains