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LA COMTESSE DE RUDOLSTADT.

soutenir qu’il était Albert de Rudolstadt. Une longue enquête s’ensuivit. On invoqua le témoignage de Supperville, qui, de bonne foi sans doute, se refusa à douter qu’il l’eût vu mourir à Riesenburg. On ordonna l’exhumation de son cadavre. On trouva dans sa tombe un squelette qu’il n’avait pas été difficile d’y placer la veille. On persuada à sa cousine qu’elle devait lutter contre un aventurier résolu à la dépouiller. Sans doute on ne leur permit plus de se voir. On étouffa les plaintes du captif et les ardentes réclamations de sa femme sous les verrous et les tortures de la prison. Peut-être furent-ils malades et mourants dans des cachots séparés. Une fois l’affaire entamée, Albert ne pouvait plus réclamer pour son honneur et sa liberté qu’en proclamant la vérité. Il avait beau protester de sa renonciation à l’héritage, et vouloir tester à l’heure même en faveur de sa cousine, on voulait prolonger et embrouiller le procès, et on y réussit sans peine, soit que l’impératrice fût trompée, soit qu’on lui eût fait entendre que la confiscation de cette fortune n’était pas plus à dédaigner que celle du pandoure. Pour y parvenir, on chercha querelle à Amélie elle-même, on revint sous main sur le scandale de son ancienne escapade, on observa son manque de dévotion, et on la menaça en secret de la faire enfermer dans un couvent, si elle n’abandonnait ses droits à une succession litigieuse. Elle dut le faire, et se contenter de la succession de son père, qui se trouva fort réduite par les frais énormes qu’elle eut à payer pour un procès auquel on l’avait contrainte. Enfin le château et les terres de Riesenburg furent confisqués au profit de l’État, quand les avocats, les gérants, les juges et les rapporteurs eurent prélevé sur cette dépouille des hypothèques montant aux deux tiers de sa valeur.



Par oú prendrons-nous, me dit Spartacus… (Page 170.)

Tel est notre commentaire sur ce mystérieux procès qui dura cinq ou six ans, et à la suite duquel Albert fut chassé des États autrichiens comme un dangereux aliéné, par grâce spéciale de l’impératrice. À partir de cette époque, il est à peu près certain qu’une vie obscure et de plus en plus pauvre fut le partage des deux époux. Ils reprirent leurs plus jeunes enfants avec eux. Haydn et le chanoine refusèrent tendrement de leur rendre les aînés, qui faisaient leur éducation sous les yeux et aux frais de ces fidèles amis. Consuelo avait irrévocablement perdu la voix. Il paraît trop certain que la cap-