Page:Sand - Adriani.djvu/100

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gnétique de sa marche lente et soutenue. Cette beauté, extasiée dans un rêve d’infini, s’emparait de lui comme pour l’emporter dans un monde inconnu, à travers des pensées sans issue et des énigmes sans mot. C’était un sphinx qui, sans le regarder, sans le voir, l’enlaçait irrésistiblement dans les spirales sans fin de sa promenade fantastique.

Oppressé d’une angoisse terrible, l’artiste s’élançait dehors et croisait les pas de la désolée comme pour rompre le charme. Elle se réveillait alors et venait à lui d’abord sans le reconnaître ; puis, son regard étonné s’adoucissait, un faible sourire errait sur ses traits ; elle lui disait quelques mots sans suite, et, après quelques tâtonnements de sa volonté pour rentrer dans le monde réel, elle lui parlait avec une douceur pénétrante. Peu à peu, elle reprenait les grâces de la femme, grâces d’autant plus persuasives qu’elles étaient involontaires. Tantôt elle s’excusait de son manque d’égards, traitant naïvement d’Argères comme un artiste religieusement ému traite un grand maître ; tantôt s’excusant de son indiscrétion et disant avec une simplicité d’enfant :

— Restez, je m’en vas ! Je n’écouterai plus, je me tiendrai bien loin !

Il semblait alors qu’elle eût oublié qu’elle était chez elle, et qu’elle s’imaginât que d’Argères était le maître de la maison et le propriétaire du piano.