Page:Sand - Adriani.djvu/28

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— Ce n’est rien. C’est une maison qui est par là tout juste au revers du coteau. C’est la maison de la Désolade.

La Désolade ? Voilà un nom bien triste.

— Dame ! c’est un nom qu’on lui a laissé comme ça dans le pays, à cause de la pauvre dame qui y reste. C’est une jeune femme très-jolie, ma foi, qui a perdu son mari après six mois de mariage et qui ne peut pas se consoler. Elle est malade et comme égarée par moments. On a même peur qu’elle ne devienne folle tout à fait.

— Attendez ! reprit d’Argères, qui, en suivant son guide sur le sentier, s’était un peu rapproché de la demeure invisible, je crois que j’entends de la musique.

Ils s’arrêtèrent et firent silence. Une voix de femme et un piano sonore faisaient entendre quelques sons, emportés à chaque instant par la brise. Dans les membres de phrase qui parvinrent à l’oreille exercée de d’Argères, il reconnut l’air admirable du gondolier dans Otello :

        Nessun maggior dolore, etc.

« Il n’est pas de plus grande douleur que de se rappeler le temps heureux dans l’infortune. »

D’Argères, avec son air insouciant et son besoin momentané d’oublier l’art, était artiste de la tête aux