Page:Sand - Adriani.djvu/282

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Adriani avait souffert, musicalement parlant, pendant ces trois années d’épreuves. Il avait été forcé de chanter de mauvaises choses, il les avait entendu applaudir avec frénésie. Il s’était reproché d’y contribuer par son talent. Il avait maintes fois maudit intérieurement le mauvais goût triomphant des œuvres du génie. Mais il avait lutté pour le génie, et quelquefois il avait fait remporter à Mozart, à Rossini, à Weber, des victoires éclatantes. Il avait été trahi, persécuté, irrité, comme le sont tous les artistes redoutables ; mais, soutenu dans ces épreuves par le caractère tranquille, généreux et ferme de sa femme, récompensé par un amour sans bornes, par une sorte de culte dont les témoignages avaient une suavité d’abandon inconnue à la plupart des êtres, il s’était trouvé si heureux, qu’il avait à peine senti passer les souffrances attachées à sa condition. Un mot, un regard de Laure, effaçaient sur son front le léger pli des soucis extérieurs. Un baiser d’elle sur ce front si beau y faisait rentrer, comme par enchantement, la sérénité de l’idéal ou l’enthousiasme de la croyance.

Installés définitivement à Mauzères, comme dans le nid où chaque essor de leurs ailes devait les ramener pour se reposer et se retremper dans la sainte possession l’un de l’autre, ils venaient faire un pèlerinage à cette triste maison qui était comme le paradis de leurs souvenirs. Elle était aussi bien entretenue que possible par