Page:Sand - Adriani.djvu/97

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certain qu’à cette époque, sans avoir jamais eu aucun symptôme d’aliénation, la veuve d’Octave ne jouissait pourtant pas d’une lucidité complète. Pour avoir trop contenu les manifestations d’un désespoir violent, elle avait pris une habitude de stupeur dont il ne dépendait pas toujours d’elle de sortir. Plongée ou ravie dans des contemplations intérieures, tantôt pénibles, tantôt douces, elle était devenue si étrangère au monde extérieur, qu’elle n’avait pas toujours la notion du temps qui s’écoulait et des êtres qui l’entouraient. Elle passa quelques jours dans un redoublement de fatigue pendant lequel d’Argères resta des heures entières à l’observer et à la suivre, tantôt de près, tantôt à distance, sans qu’elle se rendît bien compte de sa présence. Elle le salua plusieurs fois, comme si, à chaque fois, il venait d’arriver, oubliant qu’elle l’avait déjà salué. Elle le quitta au milieu d’un échange de paroles courtoises et revint, après avoir rêvé seule au bout d’une allée, reprendre la conversation où elle l’avait laissée, sans s’apercevoir qu’elle l’eût interrompue.

Dans d’autres moments, elle vint finir près de lui une réflexion ou une rêverie qu’elle avait commencée en elle-même. Enfin, il y eut dans son cerveau des lacunes qui permirent à ce jeune homme, déjà épris, de la voir plus souvent et plus longtemps que les convenances ne semblaient le permettre, et qui