Page:Sand - Albine, partie 1 (La Nouvelle Revue, 1881).djvu/17

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— Certainement, monsieur Champorel.

— Monsieur veut-il manger chez lui ?

— Avec plaisir, monsieur Champorel.

— Monsieur prend du café ?

— Toujours, monsieur Champorel.

— Monsieur veut des cigares ou des cigarettes ?

— J’ai ce qu’il me faut, monsieur Champorel.

— Vous avez entendu, mes enfants, dit-il en s’adressant aux deux subalternes d’un ton d’autorité paternelle. Allez, et faites vite.

— À présent, ajouta-t-il, en s’adressant à moi, je vais défaire la malle de monsieur, pour lui présenter sa robe de chambre ?

— Je n’en ai pas, monsieur Champorel. C’est un vêtement qui n’est pas de mon âge.

— Pardon, monsieur, dans notre climat, quand on ne remue pas, il faut être ouaté. Je cours chercher celle que monsieur le duc a dit de préparer pour vous.

Il sort et revient avec une robe de chambre de soie piquée et ouatée que j’hésite à endosser.

Il insiste :

— C’est parce que vous avez chaud qu’il faut ne pas vous refroidir. Vous êtes ici dans le château du diable.

— Pourquoi cela ?

— Des murs de deux mètres d’épaisseur imbibés de nuages ! Songez donc, il faut y entretenir la chaleur de l’enfer, ou s’attendre aux rhumatismes.

— Vous ne me paraissez pas encore atteint de ce mal, monsieur Champorel. Quel âge avez-vous donc ?

— Soixante-seize ans, monsieur, et il y en a cinquante que je vis ici au service de la famille. Je n’ai pas de rhumatismes, c’est vrai, et je suis ingambe comme un jeune homme. Mais je suis ouaté de la tête aux pieds sans que cela paraisse. Mettez, mettez la robe de chambre, pour faire plaisir à papa Champorel. C’est comme cela que M.  le duc me nomme ; il fait toutes mes volontés, et vous verrez que vous les ferez aussi, quand vous me connaîtrez.