Page:Sand - Albine, partie 1 (La Nouvelle Revue, 1881).djvu/2

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ces chiffres sur une feuille à part avec le relevé des travaux exécutés par mon jeune architecte dans ces derniers temps et qui sont ses états de service. Comme, sans être très intimement lié avec lui, je ne l’ai pourtant jamais perdu de vue, je peux vous conseiller d’avoir, quant à la gestion des intérêts que vous lui confierez, une tranquillité absolue.

Et maintenant, comme votre repos d’esprit me paraît plus important que les réparations de votre demeure, laissez-moi vous dire ce que je pense de l’espèce d’association à laquelle vous m’avez prescrit de travailler.

Vous voulez continuer à vivre dans l’austère solitude de votre vieux manoir, puisque vous consacrez du temps et de l’argent à le rendre plus élégant et plus confortable ; c’est le tour qu’ont pris vos pensées depuis quelques années, et je l’approuve, parce que je garde l’espérance de vous voir associer à votre existence celle d’une femme aimable et vertueuse. J’ose vous en parler pour la seconde fois depuis l’expiration de votre deuil, et peut-être me répondrez-vous cette fois-ci comme la première : que vous n’êtes pas encore disposé à remplacer la digne compagne que vous avez perdue il y a cinq ans. Mais vous en avez trente, mon cher enfant, et c’est le bon âge pour recommencer une vie nouvelle. Vous réfléchirez, et, si vous me le permettez, j’y reviendrai dans ma prochaine lettre. Sans votre agrément, je ne saurais brusquer par mon insistance la délicatesse de vos sentiments intimes.

Mais il m’est permis de vous dire que la solitude est mauvaise, surtout à une âme passionnée comme la vôtre, et pourtant je ne vous vois pas sans quelque appréhension disposé à traiter Juste Odoard comme un compagnon et un ami. Ce sont vos propres expressions. Vous m’avez dit : « Trouvez-moi un homme de talent pour les travaux d’art que je veux faire exécuter chez moi. Qu’il soit honnête et intelligent, je n’en demande pas davantage pour faire avec lui un bail de dix-huit mois ou deux ans et pour lui rendre ma solitude moins austère en le traitant comme un compagnon et un ami. »

Je reconnais bien là la bonté candide de vos jeunes années, et je sais assez la bienveillante douceur de votre caractère pour