Page:Sand - Albine, partie 1 (La Nouvelle Revue, 1881).djvu/4

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Je vous dis toutes les réflexions qui me sont venues ce matin après avoir remis à Juste Odoard la lettre qui le fera pénétrer dans vos sanctuaires. Je me suis gardé de lui dire sur quel pied d’intimité vous comptez l’accueillir, et cela à cause d’une réponse qu’il m’a faite et qui m’a donné à penser. Comme je le prévenais d’avoir à ne blesser en rien vos idées politiques et religieuses, il ne m’a point dit : « Ces idées, je les respecte. » Il m’a dit : « Les idées des autres, cela ne me regarde pas. » J’ai été frappé du ton bref et du regard froid, et dès lors toutes les appréhensions que je viens de vous soumettre ont surgi rapidement dans mon esprit. Il m’a demandé s’il trouverait des facilités pour se loger et se nourrir dans votre montagne ; j’ai pris alors sur moi de lui répondre que vous lui assuriez le vivre et le couvert dans de bonnes conditions de bien-être et qu’il n’aurait à se préoccuper de rien ; mais que vous étiez fort studieux et qu’il ne vous verrait qu’à vos heures de loisir. Il a compris qu’il mangerait chez lui et ne serait admis auprès de vous que sur votre invitation. « Alors, m’a-t-il dit, ce sera la solitude. Je vais emporter beaucoup de livres et de papier pour écrire. » Et il m’a quitté sans montrer aucun mécontentement.

Donc, mon ami, vous êtes libre de suivre mon conseil ou de révoquer mon arrêt. Je vous demande de réfléchir et de m’aimer toujours comme je vous aime.

melchior de sainte-fauste.


DEUXIÈME LETTRE

À monsieur le duc d’Autremont, au château d’Autremont.


Lyon, le…


Monsieur le duc,

J’ai quitté Paris, comptant arriver chez vous après-demain, car je devais m’arrêter en route pour faire mes adieux à ma mère et rester un jour auprès d’elle. Mais je l’ai trouvée souffrante, et je ne puis la quitter avant de m’assurer que son indisposition n’a rien de grave. Je suis assez renseigné sur votre caractère pour avoir la confiance d’être pardonné.