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Page:Sand - Albine, partie 2 (La Nouvelle Revue, 1881).djvu/8

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tarentelle. Le voilà tout aussitôt qui admire ma maigreur, ma souplesse et ma légèreté et qui m’offre de m’emmener, de m’instruire dans son art et de me faire gagner beaucoup d’argent. Je n’avais aucune espèce de notion sur la vie et sur le monde. J’étais à l’état sauvage, je ne savais pas lire et je sentais l’horreur de la misère sans m’en rendre compte.

Ce qui me séduisit dans son offre, c’est la promesse qu’il me fit de m’habiller, et comme il parlait de m’acheter une robe neuve, je lui déclarai que je voulais la chemise aussi. Je n’en avais jamais eu, et quelques-unes de mes compagnes en avaient, ce qui me paraissait un luxe enivrant. La femme qui me nourrissait et me battait en me faisant travailler pour son compte fut vite d’accord avec M. Fiori, et, pour deux pièces d’or, me céda à lui sans regrets. Je le suivis sans appréhension, enchantée de voir du nouveau et impatiente de changer les guenilles d’indienne qui me pendaient sur le corps contre les robes d’or et d’argent qu’il me promettait.

Je ne tardai pas à être satisfaite. D’abord j’eus, pour la tenue décente du voyage, une robe propre et deux chemises, avec des bas et un chapeau de paille à rubans. Mon maître ne voulut pas me donner de souliers. Il jugea que des espadrilles de toile risqueraient moins de me blesser et de me déformer les pieds, et comme je réclamais : « Petite bête, me dit-il, tu ne sais donc pas que toute ta fortune à venir est dans tes pattes ? Tu es bien heureuse d’avoir marché sans chaussures toute ta vie. Tu n’auras jamais ces maladies terribles du pied qui, sur douze apprenties danseuses, en font mettre dix de côté, infirmes pour toujours ». Dès notre première étape, il rencontra un autre danseur de ses amis, qui l’invita à dîner et lui demanda si j’étais quelque chose. M. Fiori se tourna vers moi et me dit : « Danse, qu’on voie ce que tu sais faire ». Il me donna le rythme avec un tambour de basque et je dansai ma tarentelle. Ma surprise fut grande quand je vis l’autre s’extasier, dire que j’étais un sujet exceptionnel, un être aérien, une merveille, un trésor, et offrir cent francs payés sur l’heure si mon maître voulait me céder à lui.

M. Fiori refusa et m’emmena à… où, tout de suite, il me produisit sur le théâtre de la localité dans un costume d’em-