Page:Sand - Antonia.djvu/312

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Il vint bien encore une fois à l’esprit de Julie qu’il dépendait de Julien et d’elle de secouer toutes ces chaînes et de s’unir en dépit de la misère.

— Il serait plus heureux ainsi, pensait-elle, et c’est peut-être à son malheur que je me sacrifie ! Mais qui sait où s’arrêterait la haine de M. Antoine ? Un fou furieux est capable de tout ; il le ferait assassiner peut-être ! N’a-t-il pas des agents secrets, des espions, des bandits à son service ?

Elle avait la tête perdue, elle marchait autour du bassin comme si elle eût attendu l’heure fatale avec impatience. Et puis, en songeant qu’elle allait revoir Julien, son cœur se reprenait à la vie avec rage et battait à se rompre. Il ne lui venait aucun remords, aucun scrupule de manquer à des serments arrachés par la contrainte morale la plus révoltante.

— Quand on va mourir, se disait-elle, on a le droit de protester devant Dieu contre l’iniquité des bourreaux.

Il y avait en ce moment une force extraordinaire de réaction chez cette femme si faible et si douce. C’était comme le bouillonnement d’un lac tranquille soulevé par des explosions volcaniques, ou comme l’éclat subit d’une flamme près de s’évanouir. Elle avait la fièvre, elle n’était plus elle-même.

Elle vit approcher M. Antoine avec Marcel, et, pour le recevoir, elle s’assit machinalement sur le banc où, trois mois auparavant, le vieillard lui avait fait l’étrange et ridicule proposition dont le refus lui coû-