Page:Sand - Antonia.djvu/35

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condamnée, et la locataire n’avait fait adresser aucune demande importune à ce sujet.

Il est vrai de dire que la comtesse avait attendu cette demande avec la résolution d’y souscrire ; mais elle avait à peine remarqué le sentiment de crainte ou de fierté qui avait empêché madame Thierry de la lui faire. Elle s’en avisa en ce jour de retour sur elle-même et se reprocha de n’avoir pas prévenu le désir présumable de la pauvre veuve.

— Si c’eût été quelque grande dame ruinée, pensa-t-elle, je n’aurais eu garde d’oublier les égards que l’on doit à l’âge ou au malheur. Voilà encore une preuve de ce que je disais à la baronne : on nous fausse l’esprit et on nous dessèche le cœur en nous élevant dans les préjugés du sang. Je me sens égoïste et impolie envers cette personne qu’on m’a dit être infiniment respectable et fort gênée. Comment ai-je oublié ce qui était un devoir ? Mais voici une occasion pour tout réparer et je ne la perdrai pas ; car j’ai besoin aujourd’hui de me réconcilier avec moi-même.

La comtesse approcha résolument de la croisée et toussa deux ou trois fois comme pour avertir de sa présence, et, comme personne ne bougeait, elle se hasarda à frapper contre la vitre dépolie.

Julien était sorti ; mais madame Thierry était encore là. Surprise, elle parut, et, en voyant cette belle dame qu’elle connaissait bien de vue, mais à laquelle jamais encore elle n’avait adressé la parole, elle ouvrit sa fenêtre toute grande.