MARIE. Son esprit n’est pas assez délicat pour comprendre ma situation. Il veut des renseignements sur l’armée royaliste. Je ne puis m’abaisser à la délation pour sauver ma tête ; jamais Chaillac n’admettra que la reconnaissance personnelle puisse l’emporter sur le patriotisme, et j’avoue que je suis ici la victime de mon propre cœur. J’ai servi en quelque sorte la cause des insurgés, j’ai partagé leur bonne et leur mauvaise fortune. Si j’ai eu horreur de leurs excès, j’ai eu pitié de leurs misères. J’ai soigné leurs blessés ; j’ai soutenu leurs femmes, j’ai quelquefois sauvé leurs pauvres enfants dans mes bras au milieu de la déroute. Que voulez-vous ! j’ai aimé Louise par-dessus tout, j’ai servi avec zèle son vertueux père, votre bienfaiteur et le mien ! Qui comprendrait une pareille inconséquence, à moins d’être femme ? Et encore ! Y a-t-il encore des femmes dans le temps où nous vivons ? Je suis peut-être la dernière qui osera faire violence à ses croyances pour remplir un devoir et payer une dette.
HENRI. Eh bien, oui, Marie, vous êtes la seule femme, le dernier ange de bonté… (Il lui baise la main.)
MARIE. On m’appelle ; adieu ! Si je suis condamnée pour avoir été sensible au malheur de mes amis, ne me plaignez pas. Ma vie a été pure, et je crois à une vie meilleure. Servez bien la France et soyez heureux…
CHAILLAC, s’approchant. Eh bien, citoyenne, es-tu décidée à me dire… ?
MARIE. Je ne vous dirai rien, monsieur, cela m’est impossible.
CHAILLAC. En route, alors ! Monte dans ce fourgon, tu seras mieux que sur la charrette.