ROXANE. Voulez-vous que je sente l’écurie ?
LA TESSONNIÈRE. Oui, il le faudrait. Les bleus ont le nez fin.
ROXANE. Pas du tout. Les gens qui fument n’ont pas de flair.
LOUISE, sortant de l’étable. Vous avez vu Rebec ? Sait-il quelque chose de mon père, enfin ?
ROXANE. Non, rien.
LOUISE. Mon Dieu, mon Dieu ! ne rien savoir de lui depuis bientôt trois mois !
ROXANE, bas, à la Tessonnière. Avez-vous brûlé le numéro du journal où nous avons appris la mort de mon pauvre frère ?
LA TESSONNIÈRE. Oui, oui. Je l’ai brûlé tout de suite. C’était peut-être une fausse nouvelle, d’ailleurs !
LOUISE, avec angoisse. Pourquoi parlez-vous bas tous les deux ? Vous me cachez quelque chose, j’en suis sûre ! (Elle s’empare du journal qu’on lui laisse parcourir.)
ROXANE. Ma chère enfant, sois sûre que mon frère a réussi à émigrer depuis longtemps, comme tant d’autres. Il ne peut pas t’écrire, il te perdrait. D’ailleurs, il ne sait pas où nous sommes. Prends patience, tout s’éclaircira. Surmonte tes inquiétudes et songe que les regrets et les pleurs sont des crimes aux yeux des espions qui nous entourent.
LOUISE, rendant le journal. Des espions ? Nous serions ingrats d’y croire, ma tante. Il me semble, au contraire, que tout le monde s’entend ici pour nous préserver… Mais qui vient là-bas, sur la Loire ?
ROXANE. Réjouissons-nous. C’est l’ami Cadio ; il saura peut-être quelque chose, lui ! (Cadio descend d’une barque qui le dépose devant la ferme et qui s’éloigne.)