LOUISE. Est-ce une raison pour en commettre de pareilles ?
SAINT-GUELTAS. Oui, c’est une raison pour le paysan, et nul pouvoir humain ne le retiendra désormais. Le Breton, notre nouvel allié, est vindicatif, et le dictateur de Nantes semble avoir pris à tâche d’exaspérer ses passions. Si je vous parlais d’oreilles, c’est que les patriotes nantais portent les nôtres en guise de cocarde à leur chapeau : ne soyez donc pas surprise si vous voyez les leurs en chapelet à la ceinture de nos chouans farouches !
LOUISE. Ah ! que je ne voie pas ces horreurs, que je ne voie plus couler le sang, que je n’entende plus le râle de l’agonie ! J’en serais devenue folle ! À présent que j’ai vécu dans la solitude des champs et des bois, je n’aspire plus qu’à me tenir cachée dans un coin avec mon pauvre père, dussé-je mendier pour le nourrir !
SAINT-GUELTAS. Vous vivrez heureuse et en sûreté dans ma maison ; séparé de ces chefs ineptes qui ont perdu la Vendée, je me fais fort de tenir dans mon Marais jusqu’au rétablissement de la monarchie. Les princes eux-mêmes peuvent venir y chercher un refuge et, de là, diriger une guerre qui embrasera la France d’un bout à l’autre. Alors, Louise, une grande existence vous est réservée, si par crainte et découragement vous ne séparez pas votre avenir du mien.
LOUISE. Je suis insensible à l’ambition. Si mon père consent à rester avec vous, c’est la reconnaissance seule qu’y m’y retiendra.
SAINT-GUELTAS. Mais vous ne comptez pas rester indifférente aux grandes choses que je suis peut-être destiné à accomplir ?