et tu es ici dans le foyer de l’infection des prisons et des massacres. Ah ! mon pauvre Cadio, je n’avais jamais regretté la fortune, mais, en me trouvant si dénué au moment où tu étais si malade, j’ai eu du chagrin, va ! Et puis, par là-dessus, être forcé de te quitter sans cesse !… Enfin nous voilà pour quelques jours tranquilles, j’espère. J’irai te voir à la Prévôtière.
CADIO. Qu’est-ce que c’est que la Prévôtière ?
HENRI. Une maisonnette auprès d’une petite ferme qui appartient à un de mes camarades. Il l’a mise à ma disposition, c’est-à-dire à la tienne. C’est à deux ou trois lieues d’ici, au milieu des bois. Tu y trouveras des livres, et tu pourras reprendre la musique sans gêner les délibérations du tribunal révolutionnaire, qui siége ici tout à côté et qui ne se payerait pas de tes chansons quand il délibère.
CADIO. La musique… je n’y entendais rien ! Je ne regrette pas celle que je faisais.
HENRI. Tu l’as donc étudiée théoriquement, pour savoir que tu ne la savais pas ?
CADIO. Non ! j’ai entendu chanter une femme.
HENRI. Ah ! oui, à propos ! la prisonnière ? Tu n’avais pas rêvé ça dans le délire de ta fièvre ?
CADIO. Elle a encore chanté hier au soir : c’est la voix d’un ange !
HENRI. Je joue de malheur ; elle ne dit rien quand je suis là. Est-ce pour elle que tu as voulu rester dans cet affreux logement ?
CADIO, à la fenêtre, lui montrant la guillotine. Non ! c’est à cause de ça : tiens !
HENRI. Diable ! c’est moins gracieux ; une drôle d’idée ! Pourquoi ça ? voyons ! (Il lui tâte le pouls.)