Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/278

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sentiment de générosité envers mon pauvre cousin.

Telle que j’étais, j’avais acquis, dans une vie monotone et paisible à la surface, l’expérience de moi-même et la force secrète que procurent des souffrances ou des agitations internes assez vives. Je m’étais trop aimée et appréciée trop haut. Je ne m’aimais plus assez, je faisais trop bon marché de moi-même, mais j’avais de l’énergie. J’étais sérieuse, sincère, désintéressée à l’excès et encore assez vaillante pour supporter les vicissitudes inattendues d’une destinée exceptionnelle.

Ce fut un jour marqué par la fatalité que celui où ma première initiative extérieure amena mes fiançailles avec Marius. Le dîner dura plus longtemps que de coutume ; mes alternatives de terreur et de victoire sur moi-même menaçaient de se trahir, et j’étais véritablement impatiente d’aller m’enfermer avec Jennie, pour pleurer dans son sein et recevoir d’elle l’explication ou l’apaisement de mon trouble. L’abbé Costel, qui devait coucher à la maison, mais qui n’avait pas l’habitude de veiller, eût souhaité qu’on sortît de table, afin qu’il pût écrire la lettre solennelle à mon père. Ma grand’mère ne paraissait plus y songer, quand Jennie me fît remarquer qu’elle était un peu rouge et s’endormait, le sourire sur les lèvres. Nous la conduisîmes au salon, où elle dormit tout à fait dans son