Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/76

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affirmer innocemment le mensonge. Sans passion, sans parti pris, sans motif aucun, ces deux hommes s’entr’aidaient pour défigurer tous les faits possibles. Ils avaient la mémoire fausse comme on a la voix fausse ; ils racontaient à deux leurs histoires improvisées et s’interrompaient mutuellement pour consulter de bonne foi leurs souvenirs, l’un enchérissant à point nommé et avec conviction sur les rêveries de l’autre. On eût pu les croire fous. Dans la pratique de leur vie, ils étaient pourtant fort raisonnables. Ma grand’mère disait que feu son père avait eu le même travers, et elle attribuait cette bizarrerie à l’usage des liqueurs fortes et aux émotions de la vie maritime.

J’en passe et des meilleurs ; mais je dois mentionner une certaine madame Capeforte qui se disait d’origine anglaise et qui s’intitulait quelquefois Capford, bien que tout le monde connût les Capeforte ses ancêtres, meuniers de père en fils. Elle habitait le plus grand des moulins à l’entrée de la vallée, une ancienne et forte usine délabrée qui avait des airs de citadelle et qu’elle appelait volontiers son château. C’était une femme grande et sèche, plate de taille, de figure et de caractère, qui s’introduisait chez nous d’un air humble et impertinent sous prétexte d’associer ma grand’mère à des œuvres de bienfaisance et à des con-