Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/99

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moins que ce ne fût pour la petite Capeforte, qu’il traitait comme sa fille, et qui l’était peut-être.

Je n’ai rien dit non plus d’un personnage qui eût dû être bien autrement important dans ma vie ; mais qu’aurais-je pu dire de mon père ? Je ne le connaissais pas, je ne l’avais jamais vu, je pensais presque que je ne devais jamais le voir. Je savais bien que j’avais un père, un homme charmant, m’avait dit Denise, un homme du monde, m’avait dit ma grand’mère ; mais Denise le connaissait à peine, et ma bonne maman ne le connaissait presque plus. Il avait émigré à seize ans, il avait cherché refuge et fortune à l’étranger, il s’y était marié deux fois, il avait déjà plusieurs enfants de son second mariage, il vivait dans l’opulence. Quand nos amis demandaient à ma grand’mère, sur un ton d’indifférence invariable, mais avec le sourire de la politesse sur les lèvres : « Y a-t-il longtemps que vous n’avez reçu des nouvelles de M. le marquis ? » elle répondait invariablement avec le même sourire contraint : « Il va fort bien, je vous remercie. » Elle ne disait pas qu’il lui écrivait régulièrement une fois par an, jamais davantage, quoi qu’il advînt ; que ses lettres étaient insignifiantes et qu’il y demandait, dans un invariable post-scriptum, des nouvelles de Lucienne, sans jamais m’appeler sa fille. Tout ce que je connaissais