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Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 2.djvu/217

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— Qu’avez-vous donc ? reprit-elle. Vous voilà en colère ? ou c’est du chagrin ? ou bien de la crainte ? Je ne vous comprends pas ! Si vous avez un secret, à qui le direz-vous ? un chagrin, qui est-ce qui le partagera ? un désir, une volonté, qui est-ce qui s’y attellera tout de suite ? Jennie n’est donc rien pour vous, qui êtes tout pour elle ? Voyons, Lucienne, qui aimez-vous donc ? Il faut le dire !

Elle me prit dans ses bras avec énergie. Je m’en arrachai avec effort, et j’allai me cacher dans ma chambre.

Jennie me tuait à force de vouloir me faire vivre. Elle me devinait, elle lisait en moi, elle me pénétrait comme le soleil traverse le cristal, il n’y avait plus à en douter. Il ne manquait à son interrogatoire que le nom de Frumence, et, si je ne me fusse enfuie, elle l’eût sans doute prononcé.

Son idolâtrie pour moi me révolta. Non-seulement elle se sacrifiait à moi depuis longtemps, mais encore elle prétendait sacrifier Frumence qui l’aimait, Frumence qui ne m’aimait pas ! Elle était indélicate à force de vertu, tyrannique à force d’abnégation. Elle ne voyait pas l’humiliation qu’elle m’imposait, elle ne doutait pas qu’en se sachant aimé de moi Frumence ne se détachât d’elle pour tomber à mes pieds. Il n’entrait pas dans ses prévisions qu’il pût la préférer à moi. Elle se croyait