Page:Sand - Constance Verrier.djvu/133

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Mais la solennelle douleur où me plongeait la perte de notre meilleur ami m’empêcha de songer à moi-même et d’interroger mon inclination.

«  Un jour, c’était la semaine qui suivit la mort de mon père, ma tante entra chez moi, et avec son bon sens qui part du cœur, elle me dit : — Tu as du courage, je le sais, mais je crains que tu n’aies un double chagrin. Je crains que le mari que ton père t’a destiné ne te plaise pas. Il le craint lui-même, le pauvre enfant, et il m’envoie vers toi pour te rappeler que mon frère a soumis son idée à ton bon plaisir. Il l’a répété plusieurs fois en nous faisant ses derniers adieux. Tu lui as toujours dit que tu suivrais son conseil : à présent, ton futur et moi, nous craignons que tu n’aies parlé comme cela dans l’exaltation de ta piété filiale, et nous te conjurons, au nom même de ton père, de te regarder comme absolument libre.

« Je m’éveillai comme d’un profond sommeil. Je m’étais comme ensevelie dans le morne repos de la mort avec mon père. La démarche de ma bonne tante me rappela que l’âme de mon père vivait toujours et qu’elle veillait encore sur moi. — Faites venir Abel, lui répondis-je ; je veux lui parler en même temps qu’à vous. »

— Il s’appelle Abel ? dit la Sofia : quel doux nom !

« Abel n’est pas le prénom de ce jeune homme, c’est un petit nom d’amitié que mon père lui avait donné, à cause du contraste de sa figure douce avec la figure sombre et accusée d’un de ses frères, qui n’en était