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consuelo.

tain genre opposé au mien, puisque le Porpora, que je connais si sévère, le proclame hautement.

— Vous connaissez le Porpora ? donc vous savez ses bizarreries, ses manies, on peut dire. Ennemi de toute originalité chez les autres et de toute innovation dans l’art du chant, qu’une petite élève soit bien attentive à ses radotages, bien soumise à ses pédantesques leçons, le voilà qui, pour une gamme vocalisée proprement, déclare que cela est préférable à toutes les merveilles que le public idolâtre. Depuis quand vous tourmentez-vous des lubies de ce vieux fou ?

— Elle est donc sans talent ?

— Elle a une belle voix, et chante honnêtement à l’église ; mais elle ne doit rien savoir du théâtre, et quant à la puissance qu’il y faudrait déployer, elle est tellement paralysée par la peur, qu’il est fort à craindre qu’elle y perde le peu de moyens que le ciel lui a donnés.

— Elle a peur ! On m’a dit qu’elle était au contraire d’une rare impudence.

— Oh ! la pauvre fille ! hélas, on lui en veut donc bien ? Vous l’entendrez, divine Corilla, et vous serez émue d’une noble pitié, et vous l’encouragerez au lieu de la faire siffler, comme vous le disiez en raillant tout à l’heure.

— Ou tu me trompes, ou mes amis m’ont bien trompée sur son compte.

— Vos amis se sont laissé tromper eux-mêmes. Dans leur zèle indiscret, ils se sont effrayés de vous voir une rivale : effrayés d’un enfant ! effrayés pour vous ! Ah ! que ces gens-là vous aiment mal, puisqu’ils vous connaissent si peu ! Oh ! si j’avais le bonheur d’être votre ami, je saurais mieux ce que vous êtes, et je ne vous ferais pas l’injure de m’effrayer pour vous d’une rivalité quelconque, fût-ce celle d’une Faustina ou d’une Molteni.