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consuelo.

— En ce cas, allons plus vite, répondit Anzoleto ; je veux le rejoindre, et savoir de quelle infidélité il paie la tienne cette nuit.

— Non, non, retournons ! s’écria Clorinda. Il a l’œil si perçant ; et l’oreille si fine ! Gardons-nous bien de le troubler.

— Marche ! te dis-je, cria Anzoleto à son barcarolle ; je veux rejoindre cette barque que tu vois là devant nous. »

Ce fut, malgré la prière et la terreur de Clorinda, l’affaire d’un instant. Les deux barques s’effleurèrent de nouveau, et Anzoleto entendit un éclat de rire mal étouffé partir de la gondole.

« À la bonne heure, dit-il, ceci est de bonne guerre : c’est la Corilla qui prend le frais avec monsieur le comte. »

En parlant ainsi, Anzoleto sauta sur l’avant de sa gondole, prit la rame des mains de son barcarolle, et suivant l’autre gondole avec rapidité, la rejoignit, l’effleura de nouveau, et, soit qu’il eût entendu son nom au milieu des éclats de rire de la Corilla, soit qu’un accès de démence se fût emparé de lui, il se mit à dire tout haut :

« Chère Clorinda, tu es sans contredit la plus belle et la plus aimée de toutes les femmes.

— J’en disais autant tout à l’heure à la Corilla, répondit aussitôt le comte en sortant de sa cabanette, et en s’avançant vers l’autre barque avec une grande aisance ; et maintenant que nos promenades sont terminées de part et d’autre, nous pourrions faire un échange, comme entre gens de bonne foi qui trafiquent de richesses équivalentes.

— Monsieur le comte rend justice à ma loyauté, répondit Anzoleto sur le même ton. Je vais, s’il veut bien le permettre, lui offrir mon bras pour qu’il puisse venir reprendre son bien où il le retrouve. »

Le comte avança le bras pour s’appuyer sur Anzoleto,