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consuelo.

par l’amabilité croissante de sa jeune hôtesse, elle retrouva enfin la faculté de voir, d’entendre et de répondre.

Tandis que les domestiques servaient le souper, la conversation s’engagea naturellement sur le Porpora. Consuelo fut heureuse d’entendre le vieux comte parler de lui comme de son ami, de son égal, et presque de son supérieur. Puis on en revint à parler du voyage de Consuelo, de la route qu’elle avait tenue, et surtout de l’orage qui avait dû l’épouvanter.

« Nous sommes habitués, à Venise, répondit Consuelo, à des tempêtes encore plus soudaines, et beaucoup plus dangereuses ; car dans nos gondoles, en traversant la ville, et jusqu’au seuil de nos maisons, nous risquons de faire naufrage. L’eau, qui sert de pavé à nos rues, grossit et s’agite comme les flots de la mer, et pousse nos barques fragiles le long des murailles avec tant de violence, qu’elles peuvent s’y briser avant que nous ayons eu le temps d’aborder. Cependant, bien que j’aie vu de près de semblables accidents et que je ne sois pas très-peureuse, j’ai été plus effrayée ce soir que je ne l’avais été de ma vie, par la chute d’un grand arbre que la foudre a jeté du haut de la montagne en travers de la route ; les chevaux se sont cabrés tout droits, et le postillon s’est écrié : C’est l’arbre du malheur qui tombe ; c’est le Hussite ! Ne pourriez-vous m’expliquer, signora baronessa, ce que cela signifie ? »

Ni le comte ni Amélie ne songèrent à répondre à cette question. Ils venaient de tressaillir fortement en se regardant l’un l’autre.

« Mon fils ne s’était donc pas trompé ! dit le vieillard ; étrange, étrange, en vérité ! »

Et, ramené à sa sollicitude pour Albert, il sortit de la salle pour aller le rejoindre, tandis qu’Amélie murmurait en joignant les mains :