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consuelo.

qu’on eut son assentiment, on commença les démarches pour obtenir du pape les dispenses nécessaires à cause de notre parenté. En même temps mon père me retira du couvent, et un beau matin nous arrivâmes au château des Géants, moi fort contente de respirer le grand air, et fort impatiente de voir mon fiancé ; mon bon père plein d’espérance, et s’imaginant m’avoir bien caché un projet qu’à son insu il m’avait, chemin faisant, révélé à chaque mot.

« La première chose qui me frappa chez Albert, ce fut sa belle figure et son air digne. Je vous avouerai, ma chère Nina, que mon cœur battit bien fort lorsqu’il me baisa la main, et que pendant quelques jours je fus sous le charme de son regard et de ses moindres paroles. Ses manières sérieuses ne me déplaisaient pas ; il ne semblait pas contraint le moins du monde auprès de moi. Il me tutoyait comme aux jours de notre enfance, et lorsqu’il voulait se reprendre, dans la crainte de manquer aux convenances, nos parents l’autorisaient et le priaient, en quelque sorte, de conserver avec moi son ancienne familiarité. Ma gaieté le faisait quelquefois sourire sans effort, et ma bonne tante, transportée de joie, m’attribuait l’honneur de cette guérison qu’elle croyait devoir être radicale. Enfin il me traitait avec la bienveillance et la douceur qu’on a pour un enfant ; et je m’en contentais, persuadée que bientôt il ferait plus d’attention à ma petite mine éveillée et aux jolies toilettes que je prodiguais pour lui plaire.

« Mais j’eus bientôt la mortification de voir qu’il se souciait fort peu de l’une, et qu’il ne voyait pas seulement les autres. Un jour, ma bonne tante voulut lui faire remarquer une charmante robe bleu lapis qui dessinait ma taille à ravir. Il prétendit que la robe était d’un beau rouge. L’abbé, son gouverneur, qui avait toujours