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consuelo.

ne sut pas trouver un mot à lui dire, quoiqu’il eût préparé mille gracieusetés pour les soins qu’elle venait rendre à sa fille. Mais il s’assit à table à côté d’elle, et s’empressa de la servir, avec une importunité si naïve et si minutieuse, qu’il n’eut pas le temps de satisfaire son propre appétit. Le chapelain lui demanda dans quel ordre le patriarche faisait la procession à Venise, et l’interrogea sur le luxe et les ornements des églises. Il vit à ses réponses qu’elle les avait beaucoup fréquentées ; et quand il sut qu’elle avait appris à chanter au service divin, il eut pour elle une grande considération.

Quant au comte Albert, Consuelo avait à peine osé lever les yeux sur lui, précisément parce qu’il était le seul qui lui inspirât un vif sentiment de curiosité. Elle ne savait pas quel accueil il lui avait fait. Seulement elle l’avait regardé dans une glace en traversant le salon, et l’avait vu habillé avec une sorte de recherche, quoique toujours en noir. C’était bien la tournure d’un grand seigneur ; mais sa barbe et ses cheveux dénoués, avec son teint sombre et jaunâtre, lui donnaient la tête pensive et négligée d’un beau pêcheur de l’Adriatique, sur les épaules d’un noble personnage.

Cependant la sonorité de sa voix, qui flattait les oreilles musicales de Consuelo, enhardit peu à peu cette dernière à le regarder. Elle fut surprise de lui trouver l’air et les manières d’un homme très-sensé. Il parlait peu, mais judicieusement ; et lorsqu’elle se leva de table, il lui offrit la main, sans la regarder il est vrai (il ne lui avait pas fait cet honneur depuis la veille), mais avec beaucoup d’aisance et de politesse. Elle trembla de tous ses membres en mettant sa main dans celle de ce héros fantastique des récits et des rêves de la nuit précédente ; elle s’attendait à la trouver froide comme celle d’un cadavre. Mais elle était douce et tiède comme