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consuelo.

hommes. Et si j’étais devenue folle, moi ; si j’avais blasphémé le jour terrible où j’ai vu Anzoleto dans les bras d’une autre, j’aurais donc perdu tout droit aux conseils, aux encouragements, et aux soins spirituels de mes frères les chrétiens ? On m’eût donc chassée ou laissée errante sur les chemins, en disant : Il n’y a pas de remède pour elle ; faisons-lui l’aumône, et ne lui parlons pas ; car pour avoir trop souffert, elle ne peut plus rien comprendre ? Eh bien, c’est ainsi qu’on traite ce malheureux comte Albert ! On le nourrit, on l’habille, on le soigne, on lui fait, en un mot, l’aumône d’une sollicitude puérile. Mais on ne lui parle pas ; on se tait quand il interroge, on baisse la tête ou on la détourne quand il cherche à persuader. On le laisse fuir quand l’horreur de la solitude l’appelle dans des solitudes plus profondes encore, et on attend qu’il revienne, en priant Dieu de le surveiller et de le ramener sain et sauf, comme si l’Océan était entre lui et les objets de son affection ! Et cependant on pense qu’il n’est pas loin ; on me fait chanter pour l’éveiller, s’il est en proie au sommeil léthargique dans l’épaisseur de quelque muraille ou dans le tronc de quelque vieux arbre voisin. Et l’on n’a pas su explorer tous les secrets de cette antique masure, on n’a pas creusé jusqu’aux entrailles de ce sol miné ! Ah ! si j’étais le père ou la tante d’Albert, je n’aurais pas laissé pierre sur pierre avant de l’avoir retrouvé ; pas un arbre de la forêt ne serait resté debout avant de me l’avoir rendu. »

Perdue dans ses pensées, Consuelo était sortie sans bruit de l’oratoire du comte Christian, et elle avait trouvé, sans savoir comment, une porte sur la campagne. Elle errait parmi les sentiers de la forêt, et cherchait les plus sauvages, les plus difficiles, guidée par un instinct romanesque et plein d’héroïsme