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consuelo.

L’ordre terrible avait été exécuté. Le village incendié avait éclairé la marche et l’assaut des taborites. Le château des Géants avait été emporté en deux heures, et Ziska en avait pris possession. Le lendemain, au jour, on remarqua et on lui fit savoir qu’au milieu des décombres du village, et tout au sommet de la colline qui avait servi de plate-forme aux soldats pour observer les mouvements de la forteresse, un jeune chêne, unique dans ces contrées, et déjà robuste, était resté debout et verdoyant, préservé apparemment de la chaleur des flammes qui montaient autour de lui par l’eau d’une citerne qui baignait ses racines.

« Je connais bien la citerne, avait répondu Ziska. Dix des nôtres y ont été jetés par les damnés habitants de ce village, et depuis ce temps la pierre qui la couvre n’a point été levée. Qu’elle y reste et leur serve de monument, puisque, aussi bien, nous ne sommes pas de ceux qui croient les âmes errantes repoussées à la porte des cieux par le patron romain (Pierre, le porte-clefs, dont ils ont fait un saint), parce que les cadavres pourrissent dans une terre non bénite par la main des prêtres de Bélial. Que les os de nos frères reposent en paix dans cette citerne ; leurs âmes sont vivantes. Elles ont déjà revêtu d’autres corps, et ces martyrs combattent parmi nous, quoique nous ne les connaissions point. Quant aux habitants du village, ils ont reçu leur paiement ; et quant au chêne, il a bien fait de se moquer de l’incendie : une destinée plus glorieuse que celle d’abriter des mécréants lui était réservée. Nous avions besoin d’une potence, et la voici trouvée. Allez-moi chercher ces vingt moines augustins que nous avons pris hier dans leur couvent, et qui se font prier pour nous suivre. Courons les pendre haut et court aux branches de ce brave chêne, à qui cet ornement rendra tout à fait la santé. »