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consuelo.

de mendiants se soient habitués à aller au loin demander l’aumône, le pistolet à la main. Il y a aussi des nuées de ces zingari égyptiens, qu’en France on nous fait l’honneur d’appeler bohémiens, comme s’ils étaient originaires de nos montagnes pour les avoir infestées au commencement de leur apparition en Europe. Ces gens-là, chassés et rebutés de partout, lâches et obséquieux devant un homme armé, pourraient bien être audacieux avec une belle fille comme vous ; et je crains que votre goût pour les courses aventureuses ne vous expose plus qu’il ne convient à une personne aussi raisonnable que ma chère Porporina affecte de l’être.

— Chère baronne, reprit Consuelo, quoique vous sembliez regarder la dent du loup comme un mince péril auprès de ceux qui m’attendent, je vous avouerai que je la craindrais beaucoup plus que celle des zingari. Ce sont pour moi d’anciennes connaissances, et, en général, il m’est difficile d’avoir peur des êtres faibles, pauvres et persécutés. Il me semble que je saurai toujours dire à ces gens-là ce qui doit m’attirer leur confiance et leur sympathie ; car, si laids, si mal vêtus et si méprisés qu’ils soient, il m’est impossible de ne pas m’intéresser à eux particulièrement.

— Brava, ma chère ! s’écria Amélie avec une aigreur croissante. Vous voilà tout à fait arrivée aux beaux sentiments d’Albert pour les mendiants, les bandits et les aliénés ; et je ne serais pas surprise de vous voir un de ces matins vous promener comme lui, appuyée sur le bras un peu malpropre et très-mal assuré de l’agréable Zdenko. »

Ces paroles frappèrent Consuelo d’un trait de lumière qu’elle cherchait depuis le commencement de l’entretien, et qui la consola de l’amertume de sa compagne.

« Le comte Albert vit donc en bonne intelligence avec