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de l’incertitude. Il semblait qu’il crût à un Dieu jaloux et absolu, qui n’envoyait le génie et l’inspiration qu’aux êtres isolés par leur orgueil des peines et des joies de leurs semblables. Mon cœur désavoue cette religion sauvage, et ne peut aimer un Dieu qui me défend d’aimer. Quel est donc le vrai Dieu ? Qui me l’enseignera ? Ma pauvre mère était croyante ; mais de combien d’idolâtries puériles son culte était mêlé ! Que croire et que penser ? Dirai-je, comme l’insouciante Amélie, que la raison est le seul Dieu ? Mais elle ne connaît même pas ce Dieu-là, et ne peut me l’enseigner ; car il n’est pas de personne moins raisonnable qu’elle. Peut-on vivre sans religion ? Alors pourquoi vivre ? En vue de quoi travaillerais-je ? en vue de quoi aurais-je de la pitié, du courage, de la générosité, de la conscience et de la droiture, moi qui suis seule dans l’univers, s’il n’est point dans l’univers un Être suprême, intelligent et plein d’amour, qui me juge, qui m’approuve, qui m’aide, me préserve et me bénisse ? Quelles forces, quels enivrements puisent-ils dans la vie, ceux qui peuvent se passer d’un espoir et d’un amour au-dessus de toutes les illusions et de toutes les vicissitudes humaines ?

« Maître suprême ! s’écria-t-elle dans son cœur, oubliant les formules de sa prière accoutumée, enseigne-moi ce que je dois faire. Amour suprême ! enseigne-moi ce que je dois aimer. Science suprême ! enseigne-moi ce que je dois croire. »

En priant et en méditant de la sorte, elle oublia l’heure qui s’écoulait, et il était plus de minuit lorsque avant de se mettre au lit, elle jeta un coup d’œil sur la campagne éclairée par la lune. La vue qu’on découvrait de sa fenêtre était peu étendue, à cause des montagnes environnantes, mais extrêmement pittoresque. Un torrent coulait au fond d’une vallée étroite et sinueuse, doucement ondu-