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consuelo.

pondre : c’est un homme qui aime à régaler, et qui sert de la musique sur son théâtre comme des faisans sur sa table.

Vers une heure du matin on se sépara.

« Anzolo, dit la Corilla, qui se trouvait seule avec lui dans une embrasure du balcon, où demeures-tu ? »

À cette question inattendue, Anzoleto se sentit rougir et pâlir presque simultanément ; car comment avouer à cette merveilleuse et opulente beauté qu’il n’avait quasi ni feu ni lieu ? Encore cette réponse eût-elle été plus facile à faire que l’aveu de la misérable tanière où il se retirait les nuits qu’il ne passait pas par goût ou par nécessité à la belle étoile.

« Eh bien, qu’est-ce que ma question a de si extraordinaire ? dit la Corilla en riant de son trouble.

— Je me demandais, moi, répondit Anzoleto avec beaucoup de présence d’esprit, quel palais de rois ou de fées pourrait être digne de l’orgueilleux mortel qui y porterait le souvenir d’un regard d’amour de la Corilla !

— Et que prétend dire par là ce flatteur ? reprit-elle en lui lançant le plus brûlant regard qu’elle put tirer de son arsenal de diableries.

— Que je n’ai pas ce bonheur, répondit le jeune homme ; mais que si je l’avais, j’aurais l’orgueil de ne vouloir demeurer qu’entre le ciel et la mer, comme les étoiles.

— Ou comme les cuccali ? s’écria la cantatrice en éclatant de rire. On sait que les goélands sont des oiseaux d’une simplicité proverbiale, et que leur maladresse équivaut, dans le langage de Venise, à notre locution, étourdi comme un hanneton.

— Raillez-moi, méprisez-moi, répondit Anzoleto ; je crois que j’aime encore mieux cela que de ne pas vous occuper du tout.