Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 1.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
62
consuelo.

connais ta physionomie, je sais qu’elle est honnête et qu’elle me plaît, et que quand je suis en colère elle me calme ; que quand je suis triste, elle m’égaie ; que quand je suis abattu, elle me ranime. Mais je ne connais pas ta figure. Ta figure, Consuelo, je ne peux pas savoir si elle est laide.

— Mais qu’est-ce que cela te fait, encore une fois ?

— Il faut que je le sache. Dis-moi si un homme beau pourrait aimer une femme laide.

— Tu aimais bien ma pauvre mère, qui n’était plus qu’un spectre ! Et moi, je l’aimais tant !

— Et la trouvais-tu laide ?

— Non. Et toi ?

— Je n’y songeais pas. Mais aimer d’amour, Consuelo… car enfin je t’aime d’amour, n’est-ce pas ? Je ne peux pas me passer de toi, je ne peux pas te quitter. C’est de l’amour : que t’en semble ?

— Est-ce que cela pourrait être autre chose ?

— Cela pourrait être de l’amitié.

— Oui, cela pourrait être de l’amitié. »

Ici Consuelo surprise s’arrêta, et regarda attentivement Anzoleto ; et lui, tombant dans une rêverie mélancolique, se demanda positivement pour la première fois, s’il avait de l’amour ou de l’amitié pour Consuelo ; si le calme de ses sens, si la chasteté qu’il observait facilement auprès d’elle, étaient le résultat du respect ou de l’indifférence. Pour la première fois, il regarda cette jeune fille avec les yeux d’un jeune homme, interrogeant, avec un esprit d’analyse qui n’était pas sans trouble, ce front, ces yeux, cette taille, et tous ces détails dont il n’avait jamais saisi qu’une sorte d’ensemble idéal et comme voilé dans sa pensée. Pour la première fois, Consuelo interdite se sentit troublée par le regard de son ami ; elle rougit, son cœur battit avec violence, et ses yeux se détournèrent, ne