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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/136

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consuelo.

ermite a occupé depuis, comme on l’assure, la Cave du Moine, il est probable qu’il a eu connaissance de cette retraite ; car la galerie que nous venons de parcourir m’a semblé déblayée assez nouvellement, tandis que j’ai trouvé celles qui conduisent au château encombrées, en beaucoup d’endroits, de terres et de gravois dont j’ai eu bien de la peine à les dégager. En outre, les vestiges que j’ai retrouvés ici, les débris de natte, la cruche, le crucifix, la lampe, et enfin les ossements d’un homme couché sur le dos, les mains encore croisées sur la poitrine, dans l’attitude d’une dernière prière à l’heure du dernier sommeil, m’ont prouvé qu’un solitaire y avait achevé pieusement et paisiblement son existence mystérieuse. Nos paysans croient que l’âme de l’ermite habite encore les entrailles de la montagne. Ils disent qu’ils l’ont vue souvent errer alentour, ou voltiger sur la cime au clair de la lune ; qu’ils l’ont entendue prier, soupirer, gémir, et même qu’une musique étrange et incompréhensible est venue parfois, comme un souffle à peine saisissable, expirer autour d’eux sur les ailes de la nuit. Moi-même, Consuelo, lorsque l’exaltation du désespoir peuplait la nature autour de moi de fantômes et de prodiges, j’ai cru voir le sombre pénitent prosterné sous le Hussite ; je me suis figuré entendre sa voix plaintive et ses soupirs déchirants monter des profondeurs de l’abîme. Mais depuis que j’ai découvert et habité cette cellule, je ne me souviens pas d’y avoir trouvé d’autre solitaire que moi, rencontré d’autre spectre que ma propre figure, ni entendu d’autres gémissements que ceux qui s’échappaient de ma poitrine. »

Consuelo, depuis sa première entrevue avec Albert dans ce souterrain, ne lui avait plus jamais entendu tenir de discours insensés. Elle n’avait donc jamais osé lui rappeler les étranges paroles qu’il lui avait dites cette nuit-