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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/176

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consuelo.

nément les mêmes pensées, les mêmes visions, et jusqu’aux mêmes souffrances physiques. Il était plus naïf, et partant plus poëte que moi ; son humeur était plus égale, et les fantômes que je voyais affreux et menaçants, il les voyait doux et tristes à travers son organisation plus tendre et plus sereine que la mienne. La grande différence qui existait entre nous deux, c’était l’irrégularité de mes accès et la continuité de son enthousiasme. Tandis que j’étais tour à tour en proie au délire ou spectateur froid et consterné de ma misère, il vivait constamment dans une sorte de rêve où tous les objets extérieurs venaient prendre des formes symboliques ; et cette divagation était toujours si douce et si affectueuse, que dans mes moments lucides (les plus douloureux pour moi à coup sûr ! ) j’avais besoin de la démence paisible et ingénieuse de Zdenko pour me ranimer et me réconcilier avec la vie.

— Ô mon ami, dit Consuelo, vous devriez me haïr, et je me hais moi-même, pour vous avoir privé de cet ami si précieux et si dévoué. Mais son exil n’a-t-il pas duré assez longtemps ? À cette heure, il est guéri sans doute d’un accès passager de violence…

— Il en est guéri… probablement ! dit Albert avec un sourire étrange et plein d’amertume.

— Eh bien, reprit Consuelo qui cherchait à repousser l’idée de la mort de Zdenko, que ne le rappelez-vous ? Je le reverrais sans crainte, je vous assure ; et à nous deux, nous lui ferions oublier ses préventions contre moi.

— Ne parlez pas ainsi, Consuelo, dit Albert avec abattement ; ce retour est impossible désormais. J’ai sacrifié mon meilleur ami, celui qui était mon compagnon, mon serviteur, mon appui, ma mère prévoyante et laborieuse, mon enfant naïf, ignorant et soumis ; celui qui pourvoyait à tous mes besoins, à tous mes innocents et tristes