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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/289

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consuelo.

« À votre tour, essayez donc », dit Consuelo sans s’apercevoir de ses transports.

Haydn essaya la phrase et la dit si bien que son jeune professeur battit des mains.

« C’est à merveille, lui dit-elle avec un accent de franchise et de bonté. Vous apprenez vite, et vous avez une voix magnifique.

— Vous pouvez me dire là-dessus tout ce qu’il vous plaira, répondit Joseph ; mais moi je sens que je ne pourrai jamais vous rien dire de vous-même.

— Et pourquoi donc ? » dit Consuelo.

Mais, en se retournant vers lui, elle vit qu’il avait les yeux gros de larmes, et qu’il serrait encore ses mains, en faisant craquer les phalanges, comme un enfant folâtre et comme un homme enthousiaste.

« Ne chantons plus, lui dit-elle. Voici des cavaliers qui viennent à notre rencontre.

— Ah ! mon Dieu, oui, taisez-vous ! s’écria Joseph tout hors de lui. Qu’ils ne vous entendent pas ! car ils mettraient pied à terre, et vous salueraient à genoux.

— Je ne crains pas ces mélomanes ; ce sont des garçons bouchers qui portent des veaux en croupe.

— Ah ! baissez votre chapeau, détournez la tête ! dit Joseph en se rapprochant d’elle avec un sentiment de jalousie exaltée. Qu’ils ne vous voient pas ! qu’ils ne vous entendent pas ! que personne autre que moi ne vous voie et ne vous entende ! »

Le reste de la journée s’écoula dans une alternative d’études sérieuses et de causeries enfantines. Au milieu de ses agitations, Joseph éprouvait une joie enivrante, et ne savait s’il était le plus tremblant des adorateurs de la beauté, ou le plus rayonnant des amis de l’art. Tour à tour idole resplendissante et camarade délicieux, Consuelo remplissait toute sa vie et transportait tout son être.