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consuelo.

lait en voyant les attributs des innocentes occupations d’Albert. Non, je n’aurai pas peur, se disait-elle, d’un être si doux et si pacifique. Ceci est la cellule d’un saint, et non le cachot d’un fou. Mais plus elle se rassurait sur la nature de sa maladie mentale, plus elle se sentait troublée et confuse. Elle regrettait presque de ne point trouver là un aliéné, ou un moribond ; et la certitude de se présenter à un homme véritable la faisait hésiter de plus en plus.

Elle rêvait depuis quelques minutes, ne sachant comment s’annoncer, lorsque le son d’un admirable instrument vint frapper son oreille : c’était un Stradivarius chantant un air sublime de tristesse et de grandeur sous une main pure et savante. Jamais Consuelo n’avait entendu un violon si parfait, un virtuose si touchant et si simple. Ce chant lui était inconnu ; mais à ses formes étranges et naïves, elle jugea qu’il devait être plus ancien que toute l’ancienne musique qu’elle connaissait. Elle écoutait avec ravissement, et s’expliquait maintenant pourquoi Albert l’avait si bien comprise dès la première phrase qu’il lui avait entendu chanter. C’est qu’il avait la révélation de la vraie, de la grande musique. Il pouvait n’être pas savant à tous égards, il pouvait ne pas connaître les ressources éblouissantes de l’art ; mais il avait en lui le souffle divin, l’intelligence et l’amour du beau. Quand il eut fini, Consuelo, rassurée entièrement et animée d’une sympathie plus vive, allait se hasarder à frapper à la porte qui la séparait encore de lui, lorsque cette porte s’ouvrit lentement, et elle vit le jeune comte s’avancer la tête penchée, les yeux baissés vers la terre, avec son violon et son archet dans ses mains pendantes. Sa pâleur était effrayante, ses cheveux et ses habits dans un désordre que Consuelo n’avait pas encore vu. Son air préoccupé, son attitude brisée et abattue,