Aller au contenu

Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
consuelo.

d’un être qui s’est donné à vous tout entier et pour toujours. »

XLV.

Ce langage rassurait Consuelo sur le présent, mais ne la laissait pas sans appréhension pour l’avenir. L’abnégation fanatique d’Albert prenait sa source dans une passion profonde et invincible, sur laquelle le sérieux de son caractère et l’expression solennelle de sa physionomie ne pouvaient laisser aucun doute. Consuelo, interdite, quoique doucement émue, se demandait si elle pourrait continuer à consacrer ses soins à cet homme épris d’elle sans réserve et sans détour. Elle n’avait jamais traité légèrement dans sa pensée ces sortes de relations, et elle voyait qu’avec Albert aucune femme n’eût pu les braver sans de graves conséquences. Elle ne doutait ni de sa loyauté ni de ses promesses ; mais le calme qu’elle s’était flattée de lui rendre devait être inconciliable avec un amour si ardent et l’impossibilité où elle se voyait d’y répondre. Elle lui tendit la main en soupirant, et resta pensive, les yeux attachés à terre, plongée dans une méditation mélancolique.

« Albert, lui dit-elle enfin en relevant ses regards sur lui, et en trouvant les siens remplis d’une attente pleine d’angoisse et de douleur, vous ne me connaissez pas, quand vous voulez me charger d’un rôle qui me convient si peu. Une femme capable d’en abuser serait seule capable de l’accepter. Je ne suis ni coquette ni orgueilleuse, je ne crois pas être vaine, et je n’ai aucun esprit de domination. Votre amour me flatterait, si je pouvais le partager ; et si cela était, je vous le dirais tout de suite. Vous affliger par l’assurance réitérée du contraire est, dans la situation où je vous trouve, un acte