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consuelo.

château. Je vis devant moi une femme grande et maigre, misérablement vêtue, qui portait un fardeau sur ses épaules, et qui s’arrêtait de roche en roche pour s’asseoir et reprendre haleine. Je l’abordai. Elle était belle, quoique hâlée par le soleil et flétrie par la misère et le souci. Il y avait sous ses haillons une sorte de fierté douloureuse ; et lorsqu’elle me tendit la main, elle eut l’air de commander à ma pitié plutôt que de l’implorer. Je n’avais plus rien dans ma bourse, et je la priai de venir avec moi jusqu’au château, où je pourrais lui offrir des secours, des aliments, et un gîte pour la nuit.

« — Je l’aime mieux ainsi, me répondit-elle avec un accent étranger que je pris pour celui des vagabonds égyptiens ; car je ne savais pas à cette époque les langues que j’ai apprises depuis dans mes voyages. Je pourrai, ajouta-t-elle, vous payer l’hospitalité que vous m’offrez, en vous faisant entendre quelques chansons des divers pays que j’ai parcourus. Je demande rarement l’aumône ; il faut que j’y sois forcée par une extrême détresse.

« — Pauvre femme ! lui dis-je, vous portez un fardeau bien lourd ; vos pauvres pieds presque nus sont blessés. Donnez-moi ce paquet, je le porterai jusqu’à ma demeure, et vous marcherez plus librement.

« — Ce fardeau devient tous les jours plus pesant, répondit-elle avec un sourire mélancolique qui l’embellit tout à fait ; mais je ne m’en plains pas. Je le porte depuis plusieurs années, et j’ai fait des centaines de lieues avec lui sans regretter ma peine. Je ne le confie jamais à personne ; mais vous avez l’air d’un enfant si bon, que je vous le prêterai jusque là-bas.

« À ces mots, elle ôta l’agrafe du manteau qui la couvrait tout entière, et qui ne laissait passer que le manche de sa guitare. Je vis alors un enfant de cinq à