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consuelo.

formé. Il avait vu une petite fille assez bien faite, comme on disait alors pour exprimer une personne passable ; il avait entendu une jolie voix fraîche et facile ; il avait pressenti une intelligence assez éducable ; il n’avait senti et deviné rien de plus, et il ne lui fallait rien de plus pour son théâtre de Roswald. Riche, il était habitué à acheter sans trop d’examen et sans débat parcimonieux tout ce qui se trouvait à sa convenance. Il avait voulu acheter le talent et la personne de Consuelo comme nous achetons un couteau à Châtellerault et de la verroterie à Venise. Le marché ne s’était pas conclu, et, comme il n’avait pas eu un instant d’amour pour elle, il n’avait pas eu un instant de regret. Le dépit avait bien un peu troublé la sérénité de son réveil à Passaw ; mais les gens qui s’estiment beaucoup ne souffrent pas longtemps d’un échec de ce genre. Ils l’oublient vite ; le monde n’est-il pas à eux, surtout quand ils sont riches ? Une aventure manquée, cent de retrouvées ! s’était dit le noble comte. Il chuchota avec la Wilhelmine durant le dernier morceau que chanta Consuelo, et, s’apercevant que le Porpora lui lançait des regards furieux, il sortit bientôt sans avoir trouvé aucun plaisir parmi ces musiciens pédants et malappris.

LXXXV.

Le premier mouvement de Consuelo, en rentrant dans la chambre, fut d’écrire à Albert ; mais elle s’aperçut bientôt que cela n’était pas aussi facile à faire qu’elle se l’était imaginé. Dans un premier brouillon, elle commençait à lui raconter tous les incidents de son voyage, lorsque la crainte lui vint de l’émouvoir trop violemment par la peinture des fatigues et des dangers qu’elle lui mettait sous les yeux. Elle se rappelait l’espèce de fureur