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consuelo.

l’office des morts, qu’il tomba en défaillance, et il fallut l’emporter à son tour. Le pauvre homme s’était obstiné à veiller Albert avec la chanoinesse durant toute sa maladie, et il était au bout de ses forces. La comtesse de Rudolstadt, agenouillée près du corps de son époux, tenant ses mains glacées dans les siennes, et la tête appuyée contre ce cœur qui ne battait plus, tomba dans un profond recueillement. Ce que Consuelo éprouva en cet instant suprême ne fut point précisément de la douleur. Du moins ce ne fut pas cette douleur de regret et de déchirement qui accompagne la perte des êtres nécessaires à notre bonheur de tous les instants. Son affection pour Albert n’avait pas eu ce caractère d’intimité, et sa mort ne creusait pas un vide apparent dans son existence. Le désespoir de perdre ce qu’on aime tient souvent à des causes secrètes d’amour de soi-même et de lâcheté en face des nouveaux devoirs que leur absence nous crée. Une partie de cette douleur est légitime, l’autre ne l’est pas et doit être combattue, quoiqu’elle soit aussi naturelle. Rien de tout cela ne pouvait se mêler à la tristesse solennelle de Consuelo. L’existence d’Albert était étrangère à la sienne en tous points, hormis un seul, le besoin d’admiration, de respect et de sympathie qu’il avait satisfait en elle. Elle avait accepté la vie sans lui, elle avait même renoncé à tout témoignage d’une affection que deux jours auparavant elle croyait encore avoir perdue. Il ne lui était resté que le besoin et le désir de rester fidèle à un souvenir sacré. Albert avait été déjà mort pour elle ; il ne l’était guère plus maintenant, et peut-être l’était-il moins à certains égards ; car enfin Consuelo, longtemps exaltée par le commerce de cette âme supérieure, en était venue depuis, dans ses méditations rêveuses, à adopter la croyance poétique d’Albert sur la transmission des âmes. Cette croyance avait trouvé