Page:Sand - Contes d’une grand’mère, 1906.djvu/124

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je m’élançais dans le courant, si rapide et si profond qu’il pût être, portant toujours sur mon cou le confiant Aor, qui prenait autant de plaisir que moi à cet exercice et qui, aux endroits difficiles et dangereux, ranimait mon ardeur et ma force en jouant sur sa flûte un chant de notre pays, tandis que mon cortège et la foule pressée sur les deux rives exprimaient leur anxiété ou leur admiration par des cris, des prosternations et des invocations de bras tendus vers moi. Les ministres, inquiets de l’audace d’Aor, délibéraient entre eux s’ils ne devaient pas m’interdire d’exposer ainsi ma vie précieuse au salut de l’empire ; mais Aor jouant toujours de la flûte sur ma tête au ras du flot et ma trompe relevée comme le cou d’un paon gigantesque témoignaient de notre sécurité. Quand nous revenions lentement et paisiblement au rivage, tous accouraient vers moi avec des génuflexions ou des cris de triomphe, et mon orchestre déchirait les airs de ses fanfares éclatantes. Cet orchestre ne me plut pas le premier jour. Il se composait de trompettes au son aigu, de trompes énormes, de gongs effroyables,