Page:Sand - Contes d’une grand’mère, 1906.djvu/137

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me souvins du médecin qui était toujours de service dans la pièce voisine, j’allai l’éveiller et je l’amenai auprès d’Aor. Mon ami fut bien soigné et revint à la vie ; mais il resta longtemps affaibli par la perte de son sang, et je ne voulus plus sortir ni me baigner sans lui. La douleur m’accablait, je refusais de manger ; toujours couché près de lui, je versais des larmes et lui parlais avec mes yeux et mes oreilles pour le supplier de guérir.

» On ne rechercha pas les assassins ; on prétendit que j’avais blessé Aor par mégarde avec une de mes défenses, et on parla de me les scier. Aor s’indigna et jura qu’il avait été frappé avec un stylet. Le médecin, qui savait bien à quoi s’en tenir, n’osa pas affirmer la vérité. Il conseilla même à mon ami de se taire, s’il ne voulait hâter le triomphe des ennemis qui avaient juré sa perte.

» Alors, un profond chagrin s’empara de moi, et la vie civilisée à laquelle on m’avait initié me parut la plus amère des servitudes. Mon bonheur dépendait du caprice d’un prince qui