Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/141

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pourtant point, la leçon de madame Yolande lui avait profité, et Marguerite fut surprise de le trouver très aimable et très-poli. Elle lui sut gré des excuses qu’il lui fit de sa migraine de la veille, laquelle, disait-il, l’avait rendu maussade ; enfin il lui parla de manière à lui faire oublier tout ce qui lui avait déplu, et à son tour elle désira lui être agréable. Après le déjeuner, elle lui proposa de visiter ses nouveaux jardins. Elle l’y conduisit, et se réjouit de le voir s’amuser de tout, s’enquérir de toutes choses et ne plus rien déprécier. Il regarda les poissons rouges, et lui demanda s’ils étaient bons à manger ; il admira les renoncules, qu’il appela des tulipes, et se divertit à voir nager les cygnes, disant qu’en chasse ce serait un beau coup de fusil.

Une seule chose inquiéta Marguerite, c’est que Névé, comme s’il eût entendu les paroles de Puypercé, entra dans une furieuse colère et le poursuivit à grands coups d’aile et de bec. Elle craignit qu’en se sentant ainsi attaqué, le colonel de dragons ne fît une défense où le pauvre cygne eût succombé ; il n’en fut rien. Le beau colonel se réfugia d’abord vers sa cousine, puis, voyant qu’il ne pouvait faire un pas sans que Névé s’acharnât à lui pincer les mollets, il prit la fuite et se planta tout pâle derrière la grille du jardin, qu’il eut soin de fermer entre le cygne et lui. Marguerite eut de la peine à repousser l’oiseau exaspéré et à rejoindre son cousin, dont la frayeur l’étonna beaucoup. Il s’en justifia en lui disant qu’il avait craint de se mettre en colère et de tuer, en se défendant, une bête qu’elle aimait.