Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/344

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de mendiants, que je savais bien où j’étais ; mais, quand il fut question de quitter les fonds, je fus vite égaré, je ne me souvenais plus. Je grimpai au hasard, et après bien du chemin inutile je me trouvai enfin dans notre rencluse, bien reconnaissable par l’écroulement encore frais qui la couvrait. C’était toujours notre propriété ; nous n’avions pas plus songé à la vendre qu’on n’avait pensé à nous l’acheter. Elle n’avait plus aucune valeur. Tout au plus eût-on pu faire paître quelques jours dans l’intervalle des débris ; cela ne valait pas la peine et la dépense d’une nouvelle installation.

La perte récente de mon père avait ravivé la tristesse de mes souvenirs, et quand je vis le colosse brisé en mille pièces, mais immobile, paisible et comme triomphant de notre désastre, j’entrai dans une grande colère. — Affreux géant, m’écriai-je, stupide bête d’Yéous, je veux venger mon père, je veux t’insulter et te maudire. Bien des fois, quand j’étais petit, j’ai craché en l’air à ton intention ; à présent que je suis grand et que te voilà étendu à mes pieds, je veux te cracher au visage ! — Et je m’en allais cherchant dans ces débris celui qui avait pu être la tête du géant. Je crus l’avoir trouvé, je crus reconnaître la roche creuse sous laquelle mon père avait été enseveli, et qui s’ouvrait comme une large bouche, essayant de mordre la terre. Je lui assénai de toute ma force un coup de mon bâton ferré, et alors… alors, croyez-moi si vous voulez, j’entendis une voix sourde qui rugissait comme un tonnerre souterrain et qui disait : — Est-ce toi ? que me veux-tu ? — J’eus une si