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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

bien dit, bien pensé. C’est vrai et j’y crois, parce que c’est vous qui le dites. Pourtant, je ne permettrai à nul autre de me dire que les derniers ne sont pas les premiers, et que l’opprimé ne vaut pas mieux que l’oppresseur, le dépouillé mieux que le spoliateur, l’esclave que le tyran. C’est une vieille haine que j’ai contre tout ce qui va s’élevant sur des degrés d’argile. Mais ce n’est pas avec vous que je puis disputer là-dessus. Votre rang est élevé, je le salue, je le reconnais. Il consiste à être bonne, intelligente et belle. Abandonnez-moi votre couronne de comtesse et laissez-moi la briser, je vous en donne une d’étoiles qui vous va mieux.

Pardonnez-moi si je suis métaphorique aujourd’hui et ne vous moquez pas de moi, je vous en prie, pour l’amour de Dieu. Vous savez que je n’ai pas d’emphase ordinairement, et, si je me mets à prendre le ton pédant, c’est que j’ai ma pauvre tête malade de ce brouillard qu’on appelle poésie. D’ailleurs, les manières raisonnables sont bonnes avec cette fourmilière ennemie qu’on appelle les indifférents. Avec ceux qu’on aime, on peut être ridicule à son aise. Et je veux ne pas plus me gêner pour vous dire des choses de mauvais goût que pour vous envoyer une lettre toute barbouillée.

Imaginez-vous, ma chère amie, que mon plus grand supplice, c’est la timidité. Vous ne vous en douteriez guère, n’est-ce pas ? Tout le monde me croit l’esprit et le caractère fort audacieux. On se trompe. J’ai