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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

de venir vous y divertir avec nous. Ah ! bon père ! de combien de soins, de combien de tendresses, de combien de bouteilles de vin de Bordeaux, n’eussions-nous pas entouré votre vieillesse ! Certes notre affection et la bonne chère vous eussent rendu cette verdeur de la jeunesse que vous regrettez en vain maintenant. Nous vous eussions procuré de bienfaisantes transpirations en vous faisant manger des artichauts crus ; et un sommeil réparateur vous eût doucement bercé jusqu’à une heure de l’après-midi ; mais, hélas ! où êtes-vous ?

Vous imaginez bien, mon cher ami, que nous trottons ici comme des lièvres, que nous flânons comme… ? comme vous. Nous allons au spectacle, au café, à la campagne, sur la rivière ; nous visitons les collections, les églises, les caveaux, les morts, les vivants : c’est à n’en pas finir. Nous allons voir la mer dans deux ou trois jours. Nous confions nos augustes personnes et notre précieuse existence aux flots capricieux, aux vents impétueux et au savoir chanceux d’un pilote expérimenté. Priez pour nous, saint homme, vieillard austère et séraphique ! Si nous périssons dans cette lutte, je vous promets d’aller vous tirer par les pieds. Vous verrez mon ombre pâle, couronnée d’algue verte et sentant la marée à plein nez, errer autour de votre lit et chanter comme une mouette pendant votre sommeil. Alors, pieux cénobite, dites le chapelet à mon intention et répandez de l’eau bénite autour de vous.