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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

sez et que vous montrez si bien, fût plus personnifiée, plus significative, et que, par un de ces miracles de la poésie que je ne puis vous indiquer, mais qu’il vous est donné de trouver, les émotions qu’elle vous inspire, la terreur et l’admiration, fussent liées à des sentiments toujours humains et profonds. Enfin il faut ne parler aux yeux de l’imagination que pour pénétrer dans l’âme plus avant que par le raisonnement. Pourquoi cette éternelle colère des éléments ? cette lutte entre le ciel et l’abîme, le règne du soleil qui pacifie tout ; pourquoi la rage, la force, la beauté, le calme ? Ne sont-ce pas là des symboles, des images en rapport avec nos rages intérieures, et le calme n’est-il pas une des figures de la Divinité ? Voyez Homère ! comme il touche à la nature ! il est plus romantique que tous nos modernes ; et pourtant cette nature si bien sentie et si bien dépeinte n’est qu’un inépuisable arsenal où il trouve des comparaisons pour animer et colorer les actes de la vie divine et humaine. Tout le secret de la poésie, tous ses prodiges sont là. Vous l’avez senti dans la Barque échouée, dans la Fumée qui monte des toits, etc. Je voudrais que vous le sentissiez dans toutes les pièces que vous faites ; c’est par là qu’elles seraient complètes, profondes, et que l’impression en serait ineffaçable. Hugo a senti cela quelquefois ; mais son âme n’est pas assez morale pour l’avoir senti tout à fait et à propos. C’est parce que son cœur manque de flamme que sa muse manque de goût. L’oiseau chante pour chanter, dit-on. J’en doute.