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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

avec eux, il faut tenir la balance égale entre le plus et le moins : plus les effraye, et voilà leur faiblesse ; mais moins les révolte, et là est leur force contre tous les moyens empruntés au passé.

Je ne suis pas d’accord avec tous mes amis sur ce point. Plusieurs rêvent les moyens du passé pour l’avenir ; vous savez si je respecte et si je défends le passé ; mais je crois être dans la vérité en constatant que le présent diffère essentiellement, et qu’il ne nous faut rien recommencer, rien copier, mais tout inventer et tout créer. Je suis bien d’accord avec eux sur la souveraineté du but, et le proverbe « Qui veut la fin veut les moyens » est vrai. Seulement, il ne faut pas l’étendre jusqu’à dire aujourd’hui : « Qui veut une fin d’avenir et de progrès veut les moyens du passé, » parce que le passé est toujours rétrograde, quoi qu’on fasse.

Mais je me suis laissé entraîner à vous parler de ce qui devrait rester étranger à notre correspondance ; car vous êtes assez livré à vos pensées, et vous auriez besoin en prison de témoignages de tendresse beaucoup plus que de discussions politiques. Je m’étais promis de ne vous en jamais fatiguer, et vous vous souvenez qu’à Paris même, j’aurais voulu que ceux qui vous aiment vous parlassent au moins deux heures par jour de la pluie et du beau temps, pour vous forcer à vous reposer l’esprit. Si j’ai fait la faute que je reprochais aux autres, c’est pour n’y plus revenir, et c’est par suite d’un besoin que j’éprouve de